Aujourd’hui, le terme safe place ou safe space revient souvent.
En plongeant dans ma veille (livres, articles), j’ai découvert qu’il existait plusieurs termes pour désigner ces lieux d’apprentissage et de conversation. Je t’en parle ici.
1. le safe space
« Dis, je peux te raconter ma dernière micro-agression ? »
« J’ai pensé à toi il y a quelques jours, on m’a encore sorti une dinguerie »
« J’ai besoin de ton avis sur une situation, j’aimerais savoir comment tu aurais réagi à … ? »
Ces phrases, je les ai toutes entendues – ou prononcées – en échangeant avec des pair·es minorisé·es. Soit au détour d’un café ; d’un groupe de parole planifié ; ou même d’un échange improvisé suite à un évènement perturbant. Et, pour discuter de ces sujets, j’ai souvent besoin d’être en non-mixité, entourée de personnes qui comprennent certains enjeux relatifs à mes identités.
Ces lieux (planifiés ou improvisés) permettent :
→ D’éviter la remise en question de notre parole .
→ De se protéger temporairement des (micro-)agressions.
→ De nous rassurer sur notre expérience – souvent partagée.
→ De nous donner des clefs de compréhension pour appréhender certaines situations.
→ De nous fournir – aussi – des outils ou ressources pour se former et sortir la tête de l’eau.
→ Ou bien de nous partager des clefs d’actions – tirées de leur propre vécu ou bien issu de nos discussions.
Bref, ce sont des environnements de discussion où l’on se sent en sécurité.
Dit autrement : où l’on a le sentiment d’être safe – en anglais.
🔖le safe space, késako ?
Le terme est né dans les années 1960 dans la communauté LGBT+ aux États-Unis.
En France, ce sont les espaces en non-mixité – lancés avec les mouvements féministes – qui ont ouvert la voie vers ce que l’on nomme aujourd’hui safe space.
Le safe space – littéralement « espace où l’on est en sécurité » – est un environnement imaginé pour les personnes minorisées. C’est un lieu où l’on est assuré·e d’être protégé·e des micro-agressions ; d’une charge mentale et éducative que l’on peut carry au quotidien lorsqu’on est seul·e dans son environnement ; de débat ou remise en question des identités à la marge ; etc.
☝🏾 Aujourd’hui, on utilise aussi le terme safe pour parler de : thérapeutes, personnel enseignant, etc. qui s’emploient à rendre leur pratique ou lieux d’exercice accueillants pour les personnes minorisées.
Pour illustrer cette définition, je te propose de plonger dans le livre It’s not that radical de Mikaela Loach.
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snack break - on
Pour le contexte rapide : Mikaela Loach est une activiste britannique qui lie la justice sociale à celle climatique.
En 2020, elle découvre que la plage de son enfance en Jamaïque a quasi été recouverte à cause du changement climatique. C’est le déclic. Déjà engagée à titre personnel, Mikaela décide de se lancer à l’eau et commence les actions sur le terrain – d’abord auprès d’Extinction Rébellion, puis avec son initiative Paid To Pollute.
Depuis, elle s’emploie à continuer de relayer la voix et le quotidien de celleux qui sont directement touché·es par les conséquences du changement climatique.
Son livre It’s not that Radical condense ses apprentissages sur le climat, des ressources pour nous encourager à continuer de deep dive dans le sujet, ainsi que des pistes d’action pour plonger à notre tour.
🐚 snack break - off
Dans son livre, Mikaela Loach parle de l’importance de créer ces environnements en non-mixité afin de soulager les activistes non-blanch·es d’une charge mentale supplémentaire :
« Des espaces où l’on a pas à s’adapter en permanence [« code switch » dans le texte, ndlr], ou se diminuer.
C'est-à-dire, des lieux où l’on a pas à : porter un masque et s’exprimer différemment de qui nous sommes afin de s’assurer de rester en sécurité (ou d’être accepté·e) ; représenter sa/ses communauté·s ; ou constamment se battre pour être reconnu·e dans toute son humanité. »
Pour illustrer son propos, Mikaela poursuit en nous partageant sa propre expérience au Black Ecofeminist Summit – dont la première édition co-organisée avec le média Intersectional Environmentalist s’est tenue à Londres en 2022.
Suite à l’évènement, voici ce que son amie Dominique Palmer – également présente au Summit – et elle-même se sont dit :
« Nous avions toutes les deux expérimenté beaucoup de racisme dans le mouvement [écologique ndlr] et cela nous avait donné envie d’arrêter à plusieurs reprises.
Nous nous sommes mutuellement dit que c’était la première fois que nous avions eu le sentiment de pouvoir être pleinement nous-même dans cet espace d’engagement. Et cette liberté nous a permis de trouver de la joie dans notre travail. »
un espace de respiration
Mikaela a conscience que, pour avancer, son travail implique de collaborer avec des personnes avec qui elle n’est pas totalement alignée. Toutefois, elle insiste sur le fait que « nous avons également besoin d’espaces où l’on se sent en sécurité et où l’on prend soin de nous. »
Pour l’instant, Mikaela a conscience que ces safe spaces sont des bulles de répit temporaires.
À terme, sa vision est de créer un mouvement à l’image de ces espaces : safe pour tous·tes – grâce à la sensibilisation et l’éducation à grande échelle.
Cette notion de « bulle » représente justement l’une des critiques que l’on peut faire de la notion de safe space.
Comme avec le syndrome de la cabane où le monde extérieur nous devient hostile au point d’éviter le plus possible de s’y confronter, poussé à l’extrême, la safe place pourrait réduire la possibilité d’avoir des conversations difficiles ou remettre certaines choses en question.
Le tout pour pour favoriser le confort de chacun·e.
Au-delà de ce premier risque, la notion de safe space interroge également la définition de « lieu safe » puisqu’il semble difficile de construire des lieux où tous les groupes minorisés sont à l’abri de subir des (micro-)agressions.
C’est notamment pour cela que la notion de bravespace est née.
À l’inverse du safe space avant tout pensé comme un asile, le brave space, lui, est d’abord pensé comme un lieu de formation.
J’ai découvert le terme au détour d’une vidéo avec bell hooks pour New School.
L’autrice défini le brave space comme «un espace où l’on se sent à l’aise de prendre se mettre en situation de risque», soit :
D’avoir des conversations difficiles entre pairs,
De sortir de sa zone dite « de confort » pour apprendre,
De remettre en questions certains modes de fonctionnement,
De faire des erreurs et d’en porter la responsabilité sans crainte,
D’exprimer nos dissensions sans craindre les réactions de son entourage,
D’aborder des sujets nouveaux / qu’on explore – avec la marge d’erreur potentielle.
En d’autres termes, c’est un environnement dont le cadre d’échange repose sur la sécurité psychologique.
Pour illustrer son propos, bell hooks prend comme exemple la conversation qu’elle est en train d’avoir avec l’actrice Laverne Cox. Les deux femmes ne sont pas d’accord sur l’ensemble des thématiques abordées ou les angles d’approche adoptés mais le cadre d’échange – créé en amont de la discussion – leur permet d’évoquer ces dissensions avec transparence et bienveillance.
→ Par exemple : toutes les deux savent qu’elles partagent les mêmes valeurs et engagements en premier lieu (partagés par l’audience présente). De même, les discussions portent sur des concepts, des manières de s’engager et ne portent pas sur les critiques individuelles.
→ De même : en entreprise, il existe des employee resources groups (ERG) qui rassemblent des personnes qui partagent une (ou plusieurs) identités minorisées.
Pour sensibiliser et accompagner les personnes alliées dans leur apprentissage, les ERG organisent parfois des évènements où celles-ci peuvent venir poser des questions – relatives à cette identité. Bien que consenti, ce temps peut s’avérer inconfortable pour les deux parties échangeant sur un sujet perçu comme difficile.
Toutefois, le cadre pré-défini (temporel, physique et éthique) permet de naviguer cette émotion pour apprendre en collectif.
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Si tu souhaites en lire plus sur le brave space je t’invite à plonger dans l’édition portrait de la Ploufletter avec Sarah qui nous parle de la manière dont elle vit sa multiculturalité. Elle y évoque notamment la manière dont les Québécois·es abordent les notions de racisme – à la manière des brave space.
☝🏾 Pour info, la sécurité psychologique est une notion théorisée en 1999 par une chercheuse américaine : Amy Edmondson. Elle définit ce sentiment comme « un environnement où l’on se sent libre d’exprimer ses idées, ses critiques, etc. sans craindre de répercussion négative. »
C’est quelques années plus tard que Timothy Clark, chercheur à Berkeley ajoute un aspect théorique à la sécurité psychologique : 4 paliers 👇🏾
La sécurité d’inclusion – soit le fait d’appartenir à un collectif.
La sécurité d’apprentissage – soit le fait de pouvoir se former et faire des erreurs.
La sécurité de contribution – soit le fait de participer à la vie d’équipe et partager ses idées.
La sécurité de remise en question – soit le fait de pouvoir émettre des critiques ou questionner le statu quo librement.
D’une certaine manière, cette définition de la sécurité psychologique et des paliers correspond à celle que fait bell hooks du bravespace. (In fine, la discussion est une démonstration concrète de la sécurité psychologique.)
J’ai découvert la notion de soft space dans le livre de Mikaela Loach (toujours, oui).
Cette fois, elle emploie le terme en opposition à l’apathie ou l’injonction à se couper de ses émotions face à la crise climatique et sociale – pour passer à l’action. Ce qu’elle désigne comme soft space, littéralement : « espace de vulnérabilité », ce sont des lieux où elle se sent suffisamment à l’aise pour exprimer librement ses émotions ou ses doutes.
(Encore une fois, la définition est proche de la sécurité psychologique.)
👉🏾 Et, tout comme le safe space ou le brave space, le soft space représente une forme de respiration par rapport au monde.
Hello, ravie de t’accueillir par ici. Moi c’est Apolline 🐋.
J’aide les personnes minorisées à prendre leur place & Les entreprises à créer des environnements durable et inclusifs → Avec La piscine média et son pendant studio.
J’accompagne les solos minorisées et les marques engagées à aligner leurs valeurs à leur communication avec du coaching édito et du ghostwriting.